Au petit matin, Charles de Castelmaure était descendu dans la cour du château. Les derniers architectes commencaient de ranger leurs outils. En quelques mois, Chablis s'était agrandi : four banal, moulin banal, pressoir banal, forges banales, marchés aux vins, cabinet de retraite... Un vaste programme architectural réalisé à grands frais. Et ce matin, Charles de Castelmaure souhaitait faire le tour de ses vignes. En ce début de printemps, il voulait en inspecter chaque sarment pour vérifier que les bourgeons étaient sur le point de naître.
Cela lui avait pris presque toute la matinée, jusqu'à ce que le soleil fût presque à son zénith. Puis il était revenu vers la cour du château, et passa un bref instant dans la cave. Il y inspecta les lourds fûts de chêne où le vin poursuivait sa maturation, tous parfaitement alignés et impassibles. Arrivé au bout des quelques soixante-quinze fûts, il repartit en chemin inverse, et remonta dans la cour pour inspecter le nouvel entrepôt.
Il y pénétra, et vit à sa grande surprise que celui-ci était bien vide. Une dizaine de fûts et quelques douzaines de tonneaux y étaient empilés, mais rien n'était comparable aux réserves qu'il avait connues jadis. Il héla alors l'un des compagnons du maître architecte.
Vous avez fini de tout décharger ?
Le compagnon d'oeuvre lui répondit :
Sire, nous avons déplacé dans l'entrepôt tous les fûts et tonneaux qui se trouvaient là où vous nous l'aviez indiqué.
Curieux, se dit alors Charles de Castelmaure. Il lui semblait pourtant n'avoir pas, il y a peu, organisé ni banquet ni réception qui eût pu grevé si fortement sa réserve personnelle. Se pouvait-il que quelqu'un lui eût volé du vin ? Si cela était, qui cela pouvait-il être ? Un quelconque maraudeur qui eût réussi à pénétrer par effraction dans la cave ? Ou bien un ancien visiteur de son domaine ? Ou, pire encore, l'un de ses proches ou fidèles amis ?