Pour la mémoire

Retour chargé de nostalgie. Il y avait des lustres que l'évêque n'avait pas parcouru la route au coeur des vignes qui menait au domaine. Dommage que cette fois ci ce ne fut pas à dos d'âne mais dans le ventre d'un coche ballotant et cahotant, mettant à mal l'estomac du Prélat qui pensait dur comme pierre que le jour où le coche avait été inventé, son inventeur avait dû être bien faible face à une idée malsaine inssuflée par le Sans Nom. Mais il devait faire preuve de vitesse et rapidité et avait dû se résoudre à empreinter ce moyen de transport qui le rendait si nauséeux.

Les souvenirs aidèrent l'ecclésiastique à supporter le voyage : il se revoyait encore bien jeune dans sa charge de prêtre, lutter contre son entêté de mulet le brave Clotaire qui l'accompagna jusqu'à son dernier souffle. Cet asne borné avait en effet décidé de goûter le cépage de Chablis, et l'avait trouvé particulièrement à son goût, dévastant plusieurs pieds au grand désespoir de Gedeon.

Enfin, le coche de l'évêque de Nevers entra dans la cour du Chateau. Gedeon en descendit et boita tout en prenant appui sur la hampe de sa crosse jusqu'à la porte d'entrée où il fit travailler le heurtoir par le cochet afin d'annoncer son arrivée.

La nouvelle de l'arrivée de l'évêque, bien avant d'être signalée par le heurtoir, avait couru dans le domaine, parce que le garde Pelot avait vu arriver le coche épiscopal, dans les rares moments d'éveil qui ponctuaient sa sieste quasi-incessante.

La nouvelle, bien relayée par la servante teutonne Judtta et par le factotum Gimont arriva dans la chambre mortuaire, où veillait encore Jehanne de Cassagnes-Begonhès.
La vieille femme quitta le chevet de la défunte, alors que dans le château résonnait le heurtoir de l'entrée, et se hâta à la porte, précédée de Judtta qui l'ouvrit.

La vieille s'inclina :

-« Monseigneur, soyez le bienvenu à Chablis. C'est un plaisir de vous accueillir, malgré les funestes raisons de cette visite. Avez-vous fait bonne route ? »

Lorsque la porte s'ouvrit, l'évêque congédia d'un geste de la main le cochet pour qu'il aille s'occuper des chevaux et qu'il le laisse en paix. A force de ces voyages mouvementés, il finissait par souhaiter qu'il fut aussi loin que possible de lui. C'était comme si la nausée le quittait lorsque l'homme disparaissait de sa vue.

Gedeon se retourna alors vers la porte en esquissant un sourire à l'attention de la maistresse des lieux venue l'accueillir. Il fit un mouvement invitant la matriarche à se relever bien vite, n'ayant jamais été adepte du protocole cérémonieux lié à sa charge ecclésiastique.

Bonjour ma fille. Le voyage fut agréable à mes souvenirs. Il y a en effet fort longtemps qu'il ne m'avait pas été donné de voir le vignoble et les tours du chasteau de ce domaine et j'en avais gardé de joyeux souvenirs... bien éloignés de la raison qui me mène ici aujourd'hui.

Il se racla le fond de la gorge, vraissembablement géné par la lenteur administrative de Rome et ajouta :

Aheum... Si vous permettez ma fille, je souhaiterai ne point attendre d'avantage avant de procéder à la reconsécration de la Chapelle. Vostre bru n'a que trop attendu pour se présenter devant nostre Créateur et subir son jugement...

La mère Castelmaure hocha vigoureusement la tête en signe d'approbation.

-« En effet, monseigneur... Nous n'avons que trop attendu. Si vous voulez me suivre... La collégiale est de l'autre côté du jardin, attenante à l'aile sud du château. »

Et de le précéder en direction du saint édifice.

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